U
de
Grégoire Solotareff et Serge Elissalde

I
love U
Le
dessinateur Grégoire Solotareff, dont les livres pour enfants sont
connus pour leur ton libre et moderne, s’était associé
au réalisateur Serge Elissalde pour adapter son Loulou
en un moyen métrage sorti en salles en 2003 au sein du très
beau programme d’animation Loulou et autres loups. Ils
sont réunis de nouveau pour une œuvre au titre si simple qu’il
en devient compliqué : U. Ce premier long-métrage
(pour chacun des deux auteurs comme pour leurs producteurs) est remarquable
dans tous les compartiments de la création.
Choix rare dans le cinéma pour jeune public, le scénario
préfère la comédie de situation aux sempiternelles
poursuites ou quêtes. Cette histoire de licorne (U, comme « unicorne »,
et comme « Uh, Uh, Uh », les pleurs de la jeune
fille qui la font apparaître) protégeant et réconfortant
une jeune princesse (Mona) jusqu’à ce que l’amour rencontré
en la personne d’un Wéwé voisin (Kulka le chat guitariste)
les sépare inévitablement, explore la psychologie individuelle
d’une incroyable galerie de personnages tous profondément
originaux, et dépeint des sentiments bien plus complexes que ceux
qui s’annoncent au premier abord (éveil de l’amour,
jalousie, abandon…). Les
voix, fort bien « castées », sont d’une telle
justesse qu’elles font totalement oublier leurs interprètes
et semblent véritablement être celles des personnages dessinés
(à un point rarement atteint à ce jour), leur garantissant
par cette incarnation une crédibilité et une authenticité
étonnantes. D’autant que si les dialogues sont finement ciselés,
ils laissent également la place à des moments de grande
liberté, conservés avec bonheur pour l’animation –
notamment dans la scène finale, que nul n’aurait pu écrire
telle qu’elle est très visiblement improvisée. A l’heure
où même le magicien Ocelot opte, dans
Azur et Asmar, pour l’hégémonique technologie
3D, les auteurs de U jouent à fond la carte du dessin
peint à la main sur papier : les décors sont autant
de splendides aquarelles où évoluent des personnages très
touchants malgré leurs physiques parfois ingrats. Les enfants seront
émerveillés par les décors aux couleurs chatoyantes,
tandis que les parents décèleront certaines images évoquant
tour à tour, de façon très allusive, quelques grands
maîtres de la peinture, et s’amuseront à des clins
d’œil plus contemporains – au premier chef la scène
mémorable où la nonchalante Mona, à qui Isild Le
Besco prête sa voix, imite la Bardot du Mépris.
L’animation, d’une ingéniosité et d’ une
souplesse admirables malgré un budget modeste, est en parfaite
adéquation avec le graphisme et le propos. Enfin, la musique et
les chansons, signées Sanseverino – qui interprète
également, avec brio, le chat Kulka – apportent au film l’ultime
touche d’originalité et de modernité qui font de cette
évocation de l’adolescence, aussi profonde que poétique
et imagée, un ravissement inhabituel et une réussite cinématographique
de premier plan.
On présentera U comme un petit film indépendant
audacieux et original. Il n'en est rien : U est un grand
film.
Gilles
Ciment
(Texte paru
dans
Positif
n° 548,
octobre 2006)
U
France (2006). 1 h 15. Réal. et story-board : Serge Elissalde.
Scén., créa. graph. et déc. : Grégoire Solotareff.
Mus. et chansons : Sanseverino. 1er assist. et dévelop. eff. spéc.
: Pierre Volto. Dir. cast. : Frédérique Moidon. Mont. :
Céline Kelepikis. Postprod. son : Bruno Seznec. Audi : Piste Rouge.
Dir. de prod. : Tanguy Olivier. Studios anim. : Prima Linea Productions
(Angoulême), Belanim (Shanghaï), Borisfen Lutece (Kiev). Prod.
dél. : Valérie Schermann et Christophe Jankovic. Cie de
prod. : Prima Linea Productions. Coprod. : Gebeka Films, Celluloid Dreams
Productions, France 3 Cinéma. Dist. : Gebeka Films.
Voix : Isild Le Besco (Mona), Vahina Giocante (U), Bernadette Lafont (Mama),
Sanseverino (Kulka), Bernard Alane (Baba), Jean-Claude Bolle-Reddat (Monseigneur),
Maud Forget (Mimi), Guillaume Gallienne (Lazare), Marie-Christine Orry
(Goomi), Artus De Penguern (Rouge).
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